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appela la vision d’êtres chéris en m’endormant. Mais toujours l’esprit dévie et me transporte ailleurs. Je préfère cela cent fois, même le songe fût-il cruel, à la négation absolue de la pensée.

Endormi, mon corps ressent une jouissance infinie. Mais le sommeil de ma pensée est une torture. Cette négation de la vie révolte mes formes vitales. Je veux bien mourir une bonne fois, mais je me refuse à ces petites morts que donnent les nuits sans rêves.


Quand je m’éveillai, ma femme de chambre me dit que Jarrett m’attendait pour aller au Théâtre, afin de terminer l’évaluation de mes costumes. Je fis dire à Jarrett que j’avais assez vu l’escouade des douaniers et que je le priai de tout terminer sans moi avec Mme Guérard.

Pendant deux jours encore, la terrapine, la vache assise et la bande noire prirent des notes pour la taxe, des croquis pour les journaux, et des modèles pour les clientes.

Je m’impatientais, car il fallait répéter.

Enfin j’appris, le jeudi matin, que le travail était terminé et que je n’aurais mes malles qu’après avoir versé vingt-huit mille francs à la douane.

Je fus prise d’un tel fou rire, qu’il gagna le pauvre Abbey, terrifié, et même Jarrett qui découvrit ses cruelles incisives.

« Mon cher Abbey, m’écriai-je, arrangez-vous ! Moi, je dois débuter lundi 8 novembre. C’est aujourd’hui jeudi. Je serai au Théâtre lundi pour m’habiller. Faites-moi avoir mes malles, car la douane n’est pas comprise dans mon contrat. Néanmoins je paierai la moitié de ce que vous donnerez. »