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depuis l’invention du reportage, qui ait ou plus à en souffrir que moi dans cette première tournée.

Toutes les plus basses calomnies lancées par mes ennemis bien avant mon arrivée en Amérique, toutes les perfidies des amies de la Comédie-Française et de mes propres admirateurs, qui tenaient à ce que j’échouasse dans mon voyage afin de revenir au plus vite au bercail, amoindrie, calmée et domptée. Toutes les réclames à outrance faites par mon imprésario Abbey et par Jarrett mon représentant, réclames souvent outrageantes, toujours ridicules et dont je n’ai connu la véritable source que longtemps après, quand il était trop tard, oh ! combien trop tard, pour enlever au public la persuasion que j’étais la première instigatrice de toutes ces inventions.

Aussi, j’y ai renoncé. Peu me chaut qu’on croie ceci ou cela ! La vie est courte, même pour ceux qui vivent longtemps. Il faut vivre pour quelques-uns qui vous connaissent, vous apprécient, vous jugent et vous absolvent, et pour lesquels on a même tendresse et indulgence. Le reste est la « fouletitude », joyeuse ou triste, loyale ou perverse, de laquelle on n’a rien à attendre que des émotions passagères, bonnes ou mauvaises, mais qui ne laissent aucune trace.

Il faut haïr très peu, car c’est très fatigant. Il faut mépriser beaucoup, pardonner souvent et ne jamais oublier. Le pardon ne peut entraîner l’oubli ; pour moi, du moins.

Je ne reproduirai pas ici quelques-unes de ces outrageantes et infâmes attaques ; ce serait faire trop d’honneur aux gredins qui les avaient forgées de toutes pièces en trempant leur plume dans le fiel de leur âme.

Mais ce que je puis affirmer, c’est que rien ne tue,