Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/547

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

galanterie : Knoedler. Je serrai la main de ce très charmant homme et nous fûmes tout de suite, et pour toujours, bons amis.

Les visiteurs se retiraient peu à peu, mais les reporters ne se retiraient pas. Ils étaient assis : qui sur des bras de fauteuils, qui sur des coussins.

L’un d’eux était accroupi en tailleur sur une tête d’ours, le dos appuyé contre le « steam » brûlant ; il était pâle, maigre, et toussait fréquemment. Je m’approchai de lui et, au moment où j’ouvrai la bouche pour lui parler, un peu choquée de ne point le voir se lever, il m’interpella d’une voix de basse : « Quel est, Madame, le rôle que vous préférez entre tous ? — Ça ne vous regarde pas ! » lui répondis-je en lui tournant le dos.

Et je me cognai à un autre reporter plus poli. « Qu’est-ce que vous mangez dès votre réveil. Madame ? »

J’allais faire la même réponse qu’au premier reporter, mais Jarrett, qui avait eu grand mal à calmer la fureur de l’homme accroupi, répondit vivement : « Du oats-meal ! » Je ne connaissais pas ce plat. « Et dans la journée ?… reprit le féroce reporter. — Des moules ! » m’écriai-je. Et il écrivit flegmatiquement : « Des moules toute la journée… »

Je me dirigeai vers la porte… Une reporter en jupe tailleur, cheveux coupés, me dit d’une voix douce et nette : « Êtes-vous jewcatholiqueprotestanmahométanboudhistathéezoroasthéiste ou déiste ? »
. . . . . . . . . . . . . . . . .

Je restai clouée, ahurie. Elle avait dit cela d’une seule haleine, mettant l’inflexion au hasard et faisant du tout un mot d’une incohérence si folle, que j’eus