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debout. Je n’avais qu’une idée : retirer mes bagues de mes doigts, qui se gonflaient sous les pressions des shake-hands répétés.

Mes yeux s’agrandissaient avec effroi vers la porte par laquelle la foule continuait à s’engouffrer pour venir vers moi… Encore tous les noms de tous ces gens à entendre… encore toutes ces mains à presser… faire fonctionner mon risorius de Santorini encore et encore…

La sueur me perlait sous les cheveux. Je commençais à m’énerver terriblement.

Je claquais des dents et je commençais à bégayer… « Oh ! Madame… Oh !… Je suis char… cha-a… a… » Je n’en pouvais plus. Je sentis que j’allais me fâcher ou pleurer… que j’allais être ridicule, en un mot… Je pris le parti de m’évanouir. Je fis le geste de la main qui voudrait mais ne peut… J’ouvris la bouche… je fermai les yeux… et me laissai choir tout doucement dans les bras de Jarrett. « Vite, de l’air ! Un médecin ! Pauvre jeune femme ! Comme elle est pâle ! Otez-lui son chapeau ! son corset ! — Elle n’en porte pas… — Dégrafez sa robe ! » Le trac me prit. Mais ma Félicie, appelée en toute hâte, et « mon petit’dame » s’opposèrent à ce déshabillage. Le docteur revint avec un flacon d’éther. Félicie empoigna le flacon : « Ah non ! docteur, pas d’éther. Quand Madame se porte bien, l’odeur de l’éther la fait s’évanouir ! » Et cela était vrai.

Je pensai qu’il était temps de reprendre mes sens. Les reporters s’approchèrent. Ils étaient plus de vingt. Mais Jarrett, très attendri, les pria de venir à Albemarle Hôtel où j’allais habiter.

Je vis chacun des reporters prendre Jarrett à part. Et, quand je lui demandai le secret de tous ces « apartés », il me répondit flegmatiquement : « Je leur ai donné