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me firent des petites surprises pleines d’ingéniosité.

Un coup fut frappé à la porte. « Entrez ! » Et je vis avec surprise entrer trois matelots qui me remirent, au nom de l’équipage, un superbe bouquet. J’étais transportée d’admiration. Comment avait-on conservé de si belles fleurs en si bel état ?

Le bouquet était énorme. Et quand je le pris dans mes mains, je le laissai tomber dans un fol éclat de rire : c’était un bouquet de fleurs taillées dans des légumes avec un art si parfait qu’elles faisaient illusion à dix pas. De magnifiques roses rouges avaient été ciselées dans des carottes ; les camélias, dans des navets ; de petits radis avaient fourni des branches de boutons de roses piqués sur des longs poireaux teints en vert ; et le tout était allégé par des feuilles de carottes artistiquement semées pour imiter les graminées de nos élégants bouquets ; un ruban tricolore nouait toutes les tiges.

Une parole très émue d’un des matelots au nom des camarades qui me remerciaient pour une petite attention que j’avais eue pour eux, un loyal shake-hands et un affectueux merci de ma part, furent le signal d’un concert organisé dans la cabine de « mon petit’dame » : Deux violons et une flûte avaient répété en cachette. Et je fus bercée pendant une heure par une ravissante musique qui me transporta près des êtres chéris, dans mon hall si loin à cette heure.

Cette fête un peu familiale, cette musique, avaient évoqué le coin tendre et reposant de ma vie ; et je pleurai sans chagrin, sans amertume, sans regret de pleurer. Je pleurais parce que j’étais attendrie, fatiguée, énervée, lassée, et en grand désir de repos. Je m’endormis dans les larmes, la poitrine soulevée par des soupirs et des sanglots...