Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/537

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

font la traite des blancs ! Et quand je pense que dans votre caisse, Monsieur le commissaire, il y a l’argent que vous a apporté le négrier pour le transport de tous ces pauvres êtres ! Argent ramassé dans des mains calleuses, tremblantes ! Pauvre argent économisé sou par sou, larme sur larme ! Quand je pense à cela, je voudrais que nous fissions naufrage, que nous soyions tous tués, et qu’ils fussent tous sauvés ! »

Et je m’en fus dans ma cabine pour pleurer, car j’étais prise d’un grand amour de l’humanité, d’un immense chagrin de ne pouvoir rien… rien faire.


Le lendemain, je m’éveillai tard, m’étant endormie tard. Ma cabine était encombrée de visiteurs, et tous tenaient à la main un petit paquet dissimulé. Je frottai mes yeux pleins de sommeil, ne comprenant pas très bien cette invasion.

Mme Guérard s’avança vers moi et, m’embrassant : « Ma chère petite Sarah, ne croyez pas que ce jour de votre fête soit oublié par ceux qui vous aiment. — Ah ! m’écriai-je, nous sommes donc le 23 ? — Oui. Et voilà d’abord le souvenir des absents. » Mes yeux se mouillèrent et entrevirent, à travers leur brouillard, le portrait du jeune être qui m’était le plus cher au monde, avec quelques mots de sa main… Puis des souvenirs d’amis… des petits ouvrages des humbles aimants.

Mon petit filleul de la nuit me fut présenté dans une corbeille entourée d’oranges, de pommes et de mandarines. Il avait une étoile d’or sur son front, une petite étoile en papier doré qui avait entouré des tablettes de chocolat.

Ma femme de chambre Félicie, et Claude, son mari, deux cœurs pleins de tendresse et de dévouement,