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XXXII


Le navire qui devait m’emporter vers d’autres espérances, d’autres sensations, d’autres succès, s’appelait l’Amérique. C’était le bateau maudit. Le bateau hanté par les gnomes. Tous les malheurs, tous les accidents, toutes les tempêtes avaient été son lot.

Il était resté bloqué des mois la quille en l’air. Il avait été défoncé à l’arrière par une barque d’Islande. Il avait sombré, je crois, près des bancs de Terre-Neuve et avait été renfloué. Le feu avait pris à bord en pleine rade du Havre, sans trop grands dégâts pourtant.

Et il avait eu une aventure célèbre, qui avait un peu ridiculisé ce pauvre bateau. En 1876 ou 1877, on avait pris à bord un nouveau système de pompes, en usage depuis longtemps sur les bateaux anglais, mais alors inconnu dans la marine française. Le capitaine eut l’idée très sage de faire fonctionner ces pompes pour en rendre le maniement facile aux hommes de l’équipage en cas de danger. L’essai se faisait depuis quelques minutes, quand on vint prévenir le capitaine que la cale se remplissait d’eau et qu’on ne pouvait