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« Je vous en prie, me dit-il, écrivez de suite un mot, pour expliquer que hs paroles que vous avez dites n’ont pas le sens qu’on veut leur donner. Le baron Magnus, que nous aimons tous, est en très mauvaise posture, et nous en sommes désolés. Le prince de Bismarck ne plaisante pas, et c’est très grave pour lui. — Eh, mon Dieu, Monsieur, je suis cent fois plus désolée que vous, car cet homme est bon, charmant. Il a manqué de tact politique et il est très excusable, puisque je ne suis pas une femme politique. Moi, j’ai manqué de sang-froid. Je donnerais cette main gauche, qui m’est très nécessaire tout de même, pour réparer le mal. — Nous ne vous en demandons pas tant. Et ce serait dommage, en vérité, pour la beauté de vos gestes... (Ah ! dame, il était Français)... — Voici un brouillon de lettre : veuillez l’accepter, l’écrire, le signer, et tout sera dit... »

Mais c’était inacceptable. Le brouillon de cette lettre donnait des explications tortueuses et un peu lâches. Je me rebiffai ; et, après plusieurs essais mal venus, je renonçai à écrire quoi que ce soit.


Trois cents personnes assistaient à ce souper ; plus l’orchestre royal, plus les serviteurs. Le baron avait lancé son aimable, mais maladroite harangue, à toute volée. J’avais répliqué en toute surexcitation. Le public, la presse, étaient saisis de l’algarade ; nous étions garottés par notre sottise, le baron et moi. Ce serait aujourd’hui, j e me moquerais de ce qu’en pourrait penser l’opinion ; et je trouverais un biais, même en me ridiculisant, pour sauver un brave et galant homme. Mais à cette époque, j’étais d’une nervosité excessive, d’un chauvinisme intransigeant. Et puis, peut-être me croyais-je un petit quelqu’un. La vie m’a appris depuis que si l’on doit