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courtoises et sensées. Tout le monde nous regardait. J’étais gênée. Cet homme était visiblement bon. Je remerciai, touchée malgré moi par la franchise de son attitude, et je m’esquivai indécise sur mes propres sensations. Il renouvela deux fois ses visites, mais je ne le reçus pas et le saluai toujours à ma sortie de l’hôtel. Mais je m’étais un peu irritée de la ténacité de cet aimable diplomate.

Le soir du souper, quand je le vis prendre, debout, l’attitude d’un orateur, je me sentis pâlir. Il n’avait pas achevé sa petite allocution que, debout, je m’écriai : « Soit. Buvons à la France, mais à la France tout entière. Monsieur le ministre de Prusse ! » J’étais nerveuse, vibrante et théâtrale sans le vouloir. Ce fut une traînée de poudre.

L’orchestre de la Cour, placé dans la galerie supérieure, fit éclater La Marseillaise. À cette époque, les Danois haïssaient les Allemands. La salle du souper devint déserte comme par enchantement.

Je remontai dans mes appartements, ne voulant répondre à aucune question. J’avais dépassé la note. La colère m’avait fait dépasser ma volonté. Le baron Magnus ne méritait pas cette algarade. Et puis, mon instinct me prévenait que cela aurait des conséquences. Je me mis au lit, furieuse contre moi, contre le baron, contre l’univers.

Vers cinq heures du matin, je commençais à somnoler, quand je fus éveillée par le grognement de mon chien. Puis j’entendis frapper au salon ; J’appelai ma femme de chambre qui réveilla son mari, et il alla ouvrir. Un attaché de la légation de France désirait me parler de suite. Je passai une tea-gown d’hermine et je m’en fus trouver le visiteur.