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bien moins jolie que sa belle-sœur la princesse de Galles : Oh ! l’adorable et séduisant visage ! Des yeux d’enfant du Nord dans un visage grec d’une pureté virginale, un long cou souple créé pour le salut d’une reine, un sourire doux et presque timide. Le charme indéfinissable de cette princesse la rendait si lumineuse que je ne vis plus qu’elle ; et je quittai la loge, laissant, je le crains, une triste opinion de mon intelligence aux couples royaux de Danemark et de Grèce.


La veille de mon départ, on m’offrit un grand souper. M. de Fallesen prit la parole et, dans un discours très élégant, nous remercia de la semaine française que nous venions de donner au Danemark.

Robert Walt fit, au nom de la presse, un discours très chaud, très court et très sympathique. Notre ambassadeur remercia très courtoisement en quelques mots Robert Walt ; mais quelle ne fut pas la surprise générale devoir le baron Magnus, ministre de Prusse, se lever et dire, d’une voix forte, en se tournant vers moi : « Je bois à la France qui nous donne de si grands artistes ! A la France, à la belle France que nous aimons tous ! »

Dix ans à peine s’étaient écoulés depuis la terrible guerre. Français et Françaises étaient encore meurtris ; aucune blessure n’était cicatrisée. Le baron Magnus, très aimable et vraiment charmant homme, m’avait, dés mon arrivée à Copenhague, envoyé des fleurs avec sa carte. J’avais renvoyé les fleurs et prié un attaché de l’ambassade anglaise, sir Francis..., je crois, de dire au baron allemand que je le priais de ne point renouveler son envoi. Le baron, très bon enfant, se prit à rire et m’attendit au moment de ma sortie de l’hôtel. Il vint à moi les mains tendues, me dit je ne sais quelles paroles