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par une petite colonne triste et laide, un peu de verdure, et la désolante tristesse du mensonge sans beauté. On me fit boire un peu d’eau prise à la soi-disant source d’Ophélie ; et le baron de Fallesen cassa le verre sans permettre à personne d’autre de boire à la petite source.

Je revins un peu triste de ce voyage sans grandeur. Appuyée sur le bastingage, je regardais l’eau filer, quand je remarquai quelques pétales de roses immergeant et venant, sous l’impulsion d’un remous invisible, se coller aux flancs de notre bateau. Puis des milliers de pétales. Et, dans le mystérieux déclin du soleil couchant, éclatèrent, comme une fanfare étouffée par des baisers, les chants mélodieux des fils du Nord.

Je levai les yeux. Devant nous se balançait, poussé par le vent, un joli bateau aux voiles déployées : une vingtaine de jeunes gens jetaient des brassées de roses que le petit flot nous apportait et chantaient les merveilleuses légendes des siècles passés. Et tout cela était pour moi : toutes ces roses, tout cet amour, toute cette musicale poésie. Et ce soleil couchant, je le voulus aussi pour moi.

Et, dans cette fugitive minute qui m’apportait toute la beauté de la vie, je me sentis tout près de Dieu.


Le lendemain, à l’issue de la représentation, le roi me fit mander dans la loge royale et il me remit la décoration du Mérite, très joliment ornée de diamants.

Il me garda quelque temps dans sa loge, m’interrogeant sur quantité de sujets. Je fus présentée à la reine et je m’aperçus de suite qu’elle entendait difficilement. J’en conçus quelque gêne, lorsque vint à mon secours la reine de Grèce. Elle était belle. Mais com-