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toujours d’un goût parfait ; les femmes du vrai monde ressemblent à nos femmes du vrai monde ; les cocottes abondent ; les hôtels ne sont pas meilleurs à Bruxelles qu’à Paris ; les chevaux de fiacre sont aussi malheureux ; les journaux aussi méchants. Bruxelles est un tout petit Paris potinier.

Je jouai pour la première fois à la Monnaie, et je me sentis d’abord mal à l’aise dans cet immense et glacial théâtre. Mais l’enthousiasme bienveillant du public me réchauffa, et nos quatre représentations furent quatre soirées inoubliables. Puis je partis pour Copenhague, où je devais donner au Théâtre Royal cinq représentations.

Notre arrivée, très attendue sans doute, me causa un trac fou. Plus de deux mille personnes poussèrent, à l’arrêt du train signalant ma présence, un Hurrah ! si terrible que je ne pus me rendre compte de ce qui se passait. Puis, quand M. de Fallesen, directeur du Théâtre Royal, et le premier chambellan du roi entrèrent dans mon compartiment, ils me prièrent de me montrer à la fenêtre pour satisfaire la curiosité amicale du public. Le terrible Hurrah ! recommença, et je compris.

Mais une inquiétude folle s’empara de moi. Jamais, oh ! non, jamais je ne pourrai, quel qu’en soit mon désir, être à la hauteur de ce qu’on attendait de moi. Ma menue personne fera pitié à tous ces magnifiques gars, à toutes ces splendides et rayonnantes femmes. Je descendis du train si diminuée par la comparaison, que j’eus la sensation de n’être rien qu’un souffle ; et je vis la foule, soumise à sa police, s’écarter en deux lignes compactes, laissant une large voie pour ma voiture. Je passai au petit trot entre cette haie de sympathies,