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rett, et discuté point à point par lui et le directeur américain.

Il me fut remis, en échange de ce contrat, cent mille francs d’avance pour les frais oceasionnés par ce départ.

Je devais jouer huit pièces : Hernani, Phèdre, Adrienne Lecouvreur, Froufrou, La Dame aux Camélias, Le Sphinx, L’Étrangère, La Princesse George.

Je commandai vingt-cinq toilettes de ville à Laferrière, chez qui je m’habillais alors. Je fis commande, chez Baron, de six costumes pour Adrienne Lecouvreur, et de quatre costumes pour Hernani. Je commandai à un jeune peintre costumier nommé Lepaul mon costume de Phèdre. Ces trente-six costumes me revenaient à soixante et un mille francs ; il est vrai de dire que mon costume de Phèdre combiné par ce jeune Lepaul coûtait à lui tout seul quatre mille francs. Ce malheureux artiste l’avait brodé lui-même.

Ce costume était une merveille. Il me fut livré deux jours avant mon départ ; et je ne puis penser à la minute de cette livraison sans un profond émoi. Énervée par l’attente, j’écrivais un mot de colère au costumier, quand ce dernier se fit annoncer. Je le reçus mal d’abord, mais je le trouvai si changé, le pauvre, que je le fis asseoir pour m’inquiéter de sa mauvaise mine. « Oui, je suis assez malade, me dit-il, d’une voix si fragile que j’en fus bouleversée. Je voulais finir ce travail et j’ai passé trois nuits. Mais regardez comme il est beau, votre costume ! » Et il l’étala avec respeft et amour devant moi

« Tiens, fit remarquer Guérard, une petite tache ! — Ah ! je me suis piqué », répliqua vivement le pauvre artiste. Mais je venais de voir, sous la eommissure de