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Comédie-Française, le lendemain de la première représentation de L’Aventurière, qui eut lieu le samedi 17 avril 1880.

Je n’étais pas prête à jouer ce rôle. J’avais été très souffrante, et la preuve en est dans cette lettre que j’écrivis à M. Perrin le 14 avril 1880 :

...Je suis désolée, Monsieur Perrin, mais j’ai un mal de gorge si complet, que je ne puis parler. Je suis forcée de garder le lit. Veuillez m’excuser. C’est à ce maudit Trocadéro que j’ai pris froid dimanche. Je suis bien tracassée, sachant que cela vous met dans l’embarras. Ça ne fait rien, je serai prête pour samedi, quand même. Mille regrets et mille amitiés. — Sarah Bernhardt.

Je fus, en effet, prête à jouer, ayant guéri mon mal de gorge.

Mais je n’avais pu étudier pendant trois jours, ne pouvant parler ; je n’avais pu essayer mes costumes, ne pouvant sortir de mon lit. J’allai le vendredi prier Perrin de remettre à l’autre semaine la représentation de L’Aventurière. Il me répondit que la chose était impossible, que la location était faite et que la pièce devait être jouée le premier mardi, jour d’abonnement.

Je me laissai convaincre, ayant confiance en mon étoile. « Bah ! me disais-je,je m’en tirerai quand même.» Je ne m’en tirai pas du tout ou, plutôt, je m’en tirai fort mal. Mon costume était manqué, il m’allait mal. Moi dont on narguait sans cesse la maigreur, j’avais l’air d’une théière anglaise. J’avais la voix encore légèrement enrouée, ce qui me désarmait un peu. Je jouai très mal la première partie du rôle ; mieux la seconde. A un moment de la scène de violence, je m’appuyai,