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Le lendemain, à la répétition, les artistes hommes et femmes ne tenaient guère à venir saluer avec moi. Je dois dire qu’ils y mirent tous, quand même, de la bonne grâce.

Mais je déclarai que je voulais entrer seule, contre la règle ordinaire, car je devais seule supporter la mauvaise humeur et la cabale.

La salle était archi-comble.

Au lever du rideau, la Cérémonie commença au milieu des bravos. Le public était heureux de revoir ses artistes aimés. Ils s’avançaient deux par deux, un à droite, l’autre à gauche, tenant la palme ou la couronne destinée à orner le buste de Molière.

Mon tour venu, je m’avançai seule. Je me sentais pâle et pleine de volonté conquérante. Je m’avançai lentement vers la rampe et, au lieu de saluer comme mes camarades, je restai droite, regardant de mes deux yeux dans tous les yeux convergeant vers moi. On m’avait annoncé la bataille : je ne voulais pas la provoquer, mais je ne voulais pas la fuir.

J’attendis une seconde, je sentais la salle frémissante, énervée ; puis tout à coup, soulevée par une impression de tendresse généreuse, elle éclata dans une fanfare de bravos et de cris. Et le public, si aimé et si aimant, se grisait de sa joie. Ce fut certainement un des plus beaux triomphes de ma carrière.

Quelques artistes furent très contents, les femmes surtout, car il est une chose à remarquer dans notre art : les hommes jalousent les femmes beaucoup plus que les femmes ne se jalousent entre elles. J’ai rencontré beaucoup d’ennemis parmi les hommes comédiens, et très peu parmi les femmes comédiennes.

Je pense que l’Art dramatique est un art essentielle-