Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/485

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et je compris le « parce que » de tous ces « pourquoi » que je me posais depuis des années. Je n’étais pas de la moyenne ; j’avais du « trop » et du « trop peu ». Et je sentais qu’il n’y avait rien à faire à cela. Je l’avouai à Perrin en lui disant qu’il avait raison.

Il profita de cette sage disposition pour me sermonner et, enfin, pour me donner le conseil de ne point paraître à la Cérémonie du retour, à la Comédie-Française. Il craignait une cabale contre moi. Les esprits étaient montés, à tort ou à raison ; un peu des deux, disait-il avec cet air fin et courtois qu’il gardât presque toujours.

Je l’écoutai sans l’interrompre, ce qui le gêna un peu, car Perrin était un ergoteur, pas un orateur.

Quand il eut fini : « Vous m’avez dit trop de choses qui m’excitent, cher Monsieur Perrin, j’adore la bataille. Je paraîtrai à la Cérémonie. Tenez, j’étais prévenue déjà : voilà trois lettres anonymes. Lisez celle-là ; elle est la plus jolie. » Il déplia le papier parfumé d’ambre et lut :

Mon pauvre squelette, tu feras bien de ne pas faire voir ton horrible nez juif à la Cérémonie après-demain. Je crains pour lui qu’il ne serve de cible à toutes les pommes qu’on fait cuire en ce moment dans ta bonne ville de Paris à ton intention. Fais dire dans les échos que tu as craché le sang, et reste dans ton lit à réfléchir sur les conséquences de la réclame à outrance.

Un Abonné.

Perrin repoussa la lettre avec dégoût. « En voici deux autres, lui dis-je, mais elles sont trop grossières, je vous en fais grâce. J’irai à la Cérémonie. — Bien ! dit Perrin. On répète demain. Viendrez-vous ? — Je viendrai. »