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dans son vomissement de fiel noir. Mais ceux-là que la célébrité accroche quand ils ont vingt ans, ceux-là ne savent rien.

Je me souviens que la première fois qu’un reporter est venu chez moi, je me dressai en crête de coq rouge et droite de joie. J’avais dix-sept ans : j’avais joué dans le monde un petit Richelieu avec un succès énorme. Ce Monsieur vint me trouver chez ma mère, et me demanda ceci… cela… et puis encore ceci… Je répondais, je parlais… j’étais affolée d’orgueil, d’émotion. Il prenait des notes. Je regardais maman. Il me semblait que je grandissais. J’avais besoin d’embrasser maman pour me donner une contenance. Je mettais ma figure dans son cou pour cacher ma joie. Enfin, ce Monsieur se leva, me tendit la main et se retira. Je sautai dans la chambre et je me mis à tourner en rond en disant : « Trois petits pâtés, ma chemise brûle », quand tout à coup, la porte s’ouvre et le Monsieur dit à maman : « Ah ! Madame, j’oubliais : Voici la petite quittance de l’abonnement, c’est pour rien, seize francs par an. »

Maman ne comprit pas tout de suite. Je restai, moi, la bouche ouverte, ne pouvant digérer mes « petits pâtés ». Maman paya les seize francs ; et, me prenant en pitié, car je pleurais, elle me caressa doucement les cheveux.

Depuis, j’ai été livrée au monstre pieds et poings liés, et j’ai été et suis encore accusée d’adorer la réclame.

Et quand on pense que mon premier titre à la réclame a été mon extraordinaire maigreur et ma fragile santé. J’avais à peine débuté, que les épigrammes, les calembours, les jeux de mots, les caricatures, s’en donnèrent à cœur joie. Était-ce vraiment pour faire de