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rieusement ? D’abord, on ne l’acceptera pas, je t’en réponds ! »

Mounet-Sully me parla d’art, de probité… tout son discours était empreint de protestantisme : dans sa famille, il y a plusieurs pasteurs protestants, et il en avait souvenance sans le vouloir.

Delaunay, surnommé « le petit père la Franchise », vint solennellement me faire part de la mauvaise impression de ma dépêche. Il me dit que la Comédie-Française était un ministère, qu’il y avait le ministre, le secrétaire, les sous-chefs et les employés, et que chacun devait se conformer au règlement, et faire l’apport de son talent ou de son travail, et patati… et patata…

Je vis Coquelln le soir au Théâtre. Il vint à moi, les mains tendues : « Tu sais que je ne te complimente pas sur ton coup de tête ; heureusement que nous te ferons changer d’avis. Quand on a le bonheur et l’honneur d’être à la Comédie-Française, on doit y rester jusqu’à la fin de sa carrière. »

Frédéric Febvre me fit observer que je devais rester à la Comédie parce qu’elle faisait des économies pour moi, ce dont j’étais incapable moi-même. « Crois-moi, me dit-il, quand on est à la Comédie, il faut y rester, c’est le pain assuré pour plus tard. »

Enfin Got, notre doyen, vint à moi : « Tu sais comment cela s’appelle ce que tu fais en donnant ta démission ? — Non. — Déserter ! — Tu te trompes, je ne déserte pas : je change de caserne ! » lui répondis-je.

Et il en vint d’autres. Et tous me donnaient des conseils à travers leur personnalité : Monnet, en illuminé, en croyant ; Delaunay, avec une âme de bureaucrate ; Coquelin, en politicien blâmant l’idée d’autrui