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pelai mon caméléon « Cross-ci, Cross-ça », pour honorer et remercier Cross.

Nous revînmes à Londres avec le guépard en cage, le chien-loup en chaîne, mes six petits caméléons en boîte, et « Cross-ci, Cross-ça » sur mon épaule, retenu par une chaîne d’or que nous venions d’acheter chez un bijoutier.

Je n’avais pas trouvé de lions, mais j’éta’s tout de même contente.


Mon personnel le fut moins. Il y avait déjà trois chiens dans la maison : Minuccio, venu avec moi de Paris, et Bull et Fly, achetés à Londres ; plus Bizibouzou, mon perroquet, et mon singe Darwin.

L’intrusion de ces nouveaux hôtes fit pousser des cris à Mme Guérard. Mon maître d’hôtel hésita à s’approcher du chien-loup. Mais j’avais beau dire que le guépard n’était pas dangereux, personne ne voulut ouvrir sa cage transportée dans le jardin. Je demandai un marteau et des pinces pour faire sauter la porte clouée qui retenait ce pauvre guépard prisonnier. Ce que voyant, mes domestiques se décidèrent à ouvrir. Mme Guérard et les femmes de service regardaient, des fenêtres. La porte sauta et le guépard, fou de joie, bondit comme un tigre hors de sa cage, ivre de liberté, boxant les arbres, et allant droit sur les chiens, qui se mirent à hurler de terreur ; pourtant,ils étaient quatre. Le perroquet, excité, poussa des cris stridents, et le singe, secouant sa cage, crissa à fendre l’âme.

Ce concert dans le silencieux square fit un effet prodigieux : toutes les fenêtres s’ouvrirent et, au-dessus du mur de mon jardin, plus de vingt têtes apparurent curieuses, tremblantes, furieuses.