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Il racontait tout cela en très mauvais français, mais avec beaucoup d’humour.

« Eh bien, Monsieur Cross, aujourd’hui, je veux deux lions. — Je vais vous montrer ce que j’ai. » Et nous allâmes dans la cour où se trouvaient les fauves. Oh ! les magnifiques bêtes ! Deux lions d’Afrique superbes, au poil brillant, la queue puissante et fouettant l’air. Ils venaient d’arriver. Ils étaient encore en pleine santé, en plein courage de révolte. Ils ignoraient la résignation, qui est le stigmate dominant des êtres civilisés.

« Oh ! Monsieur Cross, ceux-là sont trop grands. Je veux des lionceaux. — Je n’en ai pas, Mademoiselle. — Alors, montrez-moi toutes vos bêtes ! » Je vis les tigres, les léopards, les chacals, les guépards, les pumas, et m’arrêtai devant les éléphants. J’adore les éléphants ! Mais j’aurais voulu un éléphant nain. C’est un rêve que je caresse toujours. Peut-être se réalisera-t-il un jour.

Cross n’en avait pas. Alors, j’achetai un guépard. Il était tout jeune, tout drôle, il ressemblait à une gargouille d’un château moyen âge. Je fis l’acquisition d’un chien-loup tout blanc, le poil dru, les yeux en feu, les dents en fer de lance. Il était effrayant à voir.

M. Cross me fit cadeau de six caméléons de petite race, ressemblant à des lézards, et d’un admirable caméléon, animal préhistorique, fabuleux, un véritable bibelot chinois passant du vert tendre au bronze noir, svelte et allongé comme une feuille de lis et soudainement gonflé et trapu comme un crapaud. Ses yeux, en lorgnettes comme ceux des homards, ne dépendaient pas l'un de l’autre. Il jetait l’œil droit en avant et l’œil gauche en arrière.

Je fus vite ravie, enthousiasmée, de ce cadeau. J’ap-