Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.

juger son mouvement, m’arracha le peigne des mains : « Allons, allons, il ne faut pas lambiner comme ça ! » Et plantant le peigne dans ma tignasse, elle m’arracha une poignée de cheveux.

La douleur et la rage de me voir malmenée ainsi me donnèrent sur-le-champ un de ces accès de colère qui terrifiaient ceux qui en étaient témoins.

Je me précipitai sur la malheureuse sœur ; et, des pieds, des dents, des mains, des coudes, de la tête, de tout mon pauvre petit corps si menu, je frappai, je cognai, je hurlai !

Toutes les élèves, toutes les sœurs, tout le monde accourait. Les enfants criaient : « Au secours ! » Les sœurs faisaient le signe de la croix et n’osaient s’approcher. Mère Préfète me jeta de l’eau bénite pour m’exorciser.

Enfin, mère Sainte-Sophie la Supérieure arriva.

Mon père l’avait mise au courant de mes accès de colère sauvage qui étaient mon seul et réel défaut, et qui tenaient autant à mon état de santé qu’à la violence de mon caractère.

Elle s’approcha. Je tenais toujours sœur Marie, mais j’étais épuisée par mes efforts et par cette lutte contre la pauvre femme qui, grande et forte, se garait sans se défendre et essayait de me tenir les pieds ou les mains à tour de rôle.

La voix de la mère Sainte-Sophie me fit lever la tête.

Mes yeux noyés de larmes entrevirent son doux visage, si empreint de pitié, que je m’arrêtai un instant sans pourtant lâcher prise ; et, honteuse et frémissante, je dis très vite : « C’est elle qui a commencé ! Elle m’a arraché mon peigne comme une méchante pour arracher mes cheveux ! Elle m’a bousculée ! Elle m’a fait du