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tous par mon état nerveux. J’entendis Got marmonner : « Elle devient folle ! » Mlle Thénard, qui jouait Œnone, ma vieille nourrice, me dit : « Calme-toi, tous les Anglais sont partis pour Paris, il n’y a que des Belges dans la salle ! »

Cette réplique follement comique fit virer mon esprit inquiet : « Tu es stupide ! lui dis-je. Tu sais bien comme j’ai eu peur à Bruxelles. — Oh ! bien inutilement, répondit-elle froidement : il n’y avait que des Anglais ce jour-là.»

Il fallait entrer en scène. Je n’eus pas le temps de lui répondre ; mais elle avait changé le cours de mes idées.

J’avais le trac, mais pas celui qui paralyse : celui qui affole. C’est déjà pas mal, mais c’est préférable. On fait trop, mais on fait quelque chose.

La salle entière avait applaudi mon entrée en scène pendant quelques instants ; et, courbée sous mon salut, je me disais intérieurement : « Oui, oui... vous allez voir... je vais vous donner mon sang... ma vie... mon âme. » Et quand j’entamai ma scène, comme je ne me possédais pas, je la pris un peu trop haut. Impossible de redescendre, une fois lancée. J’étais partie. Rien ne pouvait plus m’arrêter.

Je souffrais, je pleurais, j’implorais, je criais ; et tout cela était vrai ; ma souffrance était horrible, mes larmes coulaient brûlantes et acres. J’implorais Hippolyte pour l’amour qui me tuait, et mes bras tendus vers Mounet-Sully étaient les bras de Phèdre tordus par le cruel désir de l’étreinte. Le dieu était venu.

Et, quand le rideau tomba, Mounet-Sully me releva inanimée et me transporta dans ma loge.

La public, ignorant ce qui se passait, voulut que