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rouges, blanches, jaunes, qui abritaient des chapeaux clairs couverts de fleurs, sous lesquels brillaient les jolies figures des babies et des femmes.

Sur la route des cavaliers, c’était le vertigineux galop des élégants pur-sang emportant des centaines d’amazones fines, souples et hardies. Puis des cavaliers et des enfants montant sur les larges poneys irlandais. D’autres enfants galopant sur des poneys écossais aux crinières longues et touffues. Et cheveux d’enfants, crinières de chevaux, se soulevaient sous le vent de la course.

La route des voitures, tenant le milieu entre les cavaliers et les piétons, était sillonnée de dog-carts, de calèches, de mail-coachs, de huit-ressorts, et de très élégants cabs ; valets poudrés, chevaux fleuris, sportmen conducteurs, ladies conduisant crânement d’admirables trotteurs.

Toute cette élégance, tout ce parfum de luxe, toute cette joie de vivre dressèrent devant mes yeux le souvenir évocateur de notre Bois de Boulogne, si élégant, si vivant quelques années auparavant, quand Napoléon III le traversait en daumont, nonchalant et souriant. Ah ! qu’il était joli, notre Bois de Boulogne ! Les officiers caracolaient dans l’avenue des Acacias, sous les regards des belles mondaines ! La joie de vivre éclatait partout alors : l’amour de l’amour enveloppait la vie d’un charme infini !

Je fermai les yeux et mon cœur s’angoissa sous l’étreinte de l’affreux souvenir de 1870. Il était mort, le doux empereur au sourire si fin : vaincu par les armes, trahi par la fortune, terrassé par la douleur.

La vie intense avait repris son cours en France. Mais la via d’élégance, de charme, de luxe, était en-