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vées hier de Paris, envoyées par les amis de Madame. Il n’y a que ce bouquet qui est d’ici. » Et il me remit un bouquet énorme. Je pris la carte. Il y avait écrit : « Welcome ! — Henri Irving. »

Je fis le tour de la maison. Je la trouvai triste. Je voulus aller au jardin, l’humidité me pénétra. Je rentrai claquant des dents et m’endormis le cœur angoissé comme à la veille d’un malheur.

Le lendemain fut consacré à recevoir les journalistes. Je voulais les recevoir tous ensemble, mais M. Jarrett s’y opposa.

Cet homme était un véritable génie de la réclame. Je ne m’en doutais pas alors. Il m’avait fait de très belles propositions pour l’Amérique ; et malgré mes refus, il s’était imposé à moi par son intelligence, son esprit comique, et mon besoin d’être pilotée dans ce pays nouveau. « Non, me dit-il, si vous les recevez tous ensemble, ils seront tous furieux, et vous aurez de mauvais articles. Il faut les recevoir chacun l’un après l’autre. « Il en vint trente-sept ce jour-là ; et Jarrett ne me fit grâce d’aucun.

Il restait avec moi et sauvait la situation chaque fois que je disais une bêtise. Je parlais très mal l’anglais, quelques-uns très mal le français, et Jarrett translatait mes réponses. Je me souviens parfaitement que tous me dirent d’abord : « Eh bien, Mademoiselle, que pensez-vous de Londres ? »

J’étais arrivée le soir à neuf heures, et le premier auquel je parlai me fit cette question à dix heures du matin. J’avais entr’ouvert mon rideau en me levant, et je ne connaissais de Londres que Chester Square, c’est-à-dire un petit carré de verdure sombre au milieu duquel se dressait une statue noire et dont l’horizon était borné