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beaucoup de monde, mais personne ne semblait nous connaître. J’avais vu un beau tapis en arrivant en gare. Je croyais que c’était pour nous. Oh ! je ne doutais plus de rien, notre accueil à Folkestone m’avait grisée.

Le tapis venait de servir à Leurs Altesses le prince et la princesse de Galles partis pour Paris !

Cette nouvelle me contraria, me vexa même personnellement. On m’avait raconté que tout Londres frémissait dans ses moelles à l’idée de recevoir la Comédie-Française : et je trouvai Londres très indifférent.

La foule était nombreuse, très compacte, mais froide. « Pourquoi, dis-je à Mayer, le prince et la princesse de Galles partent-ils aujourd’hui ? — Mais, parce qu’ils avaient décidé leur départ pour Paris. — Oh ! alors, ils ne seront pas là pour la première ? — Non. Le prince a pris une loge pour la saison et l’a payée dix mille francs, mais elle sera occupée par le duc de Connaught. »

J’étais désespérée. Je ne sais pas pourquoi ; mais j’étais désespérée. Je trouvais que tout cela allait mal.

Un valet de pied me conduisit à ma voiture.

Je traversai Londres le cœur serré. Je trouvais que tout était noir. Et quand j’arrivai devant la maison, 77, Chester Square, je ne voulus pas descendre. Mais la porte grande ouverte me montra le vestibule lumineux, dans lequel se dressaient toutes les fleurs de la terre, en corbeilles, en bouquets, en gerbes. Je descendis et pénétrai dans la maison que j’allais habiter pendant six semaines.

Toutes ces branches me tendaient leurs fleurs.

« Vous avez les cartes de tous ces bouquets ? demandai-je à mon domestique. — Oui, me répondit-il, je les ai mises sur un plateau, car toutes ces fleurs sont arri-