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ment juste où j’ouvrais la porte de mon atelier, un homme de haute stature s’avança si près de moi que je dus reculer ; et il pénétra ainsi dans mon hall. Il avait les yeux clairs et durs, des cheveux d’argent, une barbe soignée ; il s’excusa très correctement, admira ma peinture, ma sculpture, mon hall, tant et si bien que je ne savais pas encore quel était son nom.

Quand, au bout de dix minutes, je le priai de s’asseoir pour me dire le but de sa visite, il commença d’une voix posée, avec un fort accent : « Je suis M. Jarrett, imprésario. Je puis vous faire faire une fortune. Voulez-vous venir en Amérique ? — Jamais de ma vie ! m’écriai-je vivement. Jamais ! jamais ! — Oh ! bien. Ne vous fâchez pas. Voici mon adresse, ne la perdez pas. » Puis, au moment où il prenait congé : « Ah ! dit-il, vous allez à Londres avec la Comédie-Française, voulez-vous gagner beaucoup " de l’argent " à Londres ? — Oui, comment ? — En jouant dans les salons. Je vous ferai faire une toute petite fortune. — Oh ! ça, je veux bien, si toutefois je vais à Londres, car je ne suis pas décidée. — Alors, voulez-vous me signer un tout petit contrat, auquel nous allons ajouter une clause conventionnelle ? » Et je signai un contrat avec cet homme qui m’inspira de suite une pleine confiance, laquelle ne fut jamais trompée.

Le comité et M. Perrin avaient fait un traité avec John Hollingshead, directeur du Gaiety Théâtre à Londres. Personne n’avait été consulté et je trouvais cela un peu sans façon. Aussi, quand on nous fit part du contrat accepté par le comité et l’administrateur, je ne dis mot.

Perrin, un peu inquiet, me prit à part : « Qu’est-ce que vous ruminez ? — Je rumine ceci : C’est que je