Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/430

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

interpellé, une heure auparavant, du haut de notre véhicule flottant.

Il nous fit servir un petit repas frugal : un fromage, du pain et du cidre. Je détestais le fromage et n’avais jamais voulu en manger, ne trouvant pas cela poétique ; mais je mourais de faim. « Goûtez, goûtez », me disait Georges Clairin. Je goûtai du bout des dents, et je trouvai cela excellent.


Nous rentrâmes très tard, très tard dans la nuit ; et je trouvai tout mon monde dans un état extrême d’inquiétude. Mes amis, venus pour savoir des nouvelles, étaient restés. Il y avait foule chez moi. J’en fus un peu agacée, étant morte de fatigue. Je renvoyai tout ce monde un peu nerveusement et montai à ma chambre.

En me déshabillant, ma femme de chambre m’apprit que l’on était venu plusieurs fois de la Comédie-Française : « Oh ! mon Dieu ! m’écriai-je, inquiète. Le spectacle avait-il été changé ? — Non, je ne crois pas, répondit la jeune femme. Mais il paraît que M. Perrin est furieux, et qu’ils sont tous en rage contre vous. Du reste, voilà le mot qu’on a laissé. » J’ouvris la lettre. J’étais convoquée à me rendre à l’Administration le lendemain à deux heures.

Arrivée chez Perrin, à l’heure indiquée, je fus reçue avec une politesse exagérée, pleine de sévérité.

Puis commença la série des récriminations sur mes boutades, mes caprices, mes excentricités ; et il termina son discours en me disant que j’avais mille francs d’amende pour avoir voyagé sans l’autorisation de l’Administration.

Je pouffai de rire : « Le cas " ballon ", lui dis-je, n’est pas prévu ; et je jure bien que je ne paierai pas mon