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nous devinâmes aisément que cet homme en était le chef.

« Où sommes-nous ? s’écria Louis Godard dans sa trompe. — A... en-en-en-ille ! » répondit le chef. Impossible de comprendre. «Où sommes-nous ? tonitrua Georges Clairin de sa voix la plus formidable. — A... en... en... en... ille ! » hurla le chef dans sa main en cornet. « Où sommes-nous ? m’ccriai-je de ma voix la plus cristalline. — A... en... en... en... ille ! » répondit le chef... et son équipe. Impossible de rien savoir.

Il fallut lester le ballon. Nous descendîmes d’abord un peu trop vite et, le vent nous chassant vers le bois, nous dûmes remonter vers le ciel. Cependant, après dix minutes de route, la soupape de nouveau ouverte nous fit redescendre. L’aérostat se trouvait alors à droite de la gare et très éloigné de son aimable chef. « A l’ancre ! » s’écria d’un ton de commandement le jeune Godard. Et, aidé par Georges Clairin, il lança dans l’espace une nouvelle corde au bout de laquelle se trouvait attachée une ancre formidable. La corde mesurait 80 mètres de long.

Au-dessous de nous, un troupeau d’enfants de tous âges courait après le ballon depuis notre halte à la gare. Quand nous fûmes à trois cents mètres de terre, Godard cria dans sa trompe : « Où sommes-nous ? — A Verchère ! » Aucun de nous ne connaissait Verchère. « Bah ! nous verrons bien. Descendons toujours. Allons, vous autres, cria l’aéronaute, prenez la corde qui traîne ! Et surtout ne tirez pas trop fort ! » Cinq hommes vigoureux empoignèrent la corde. Nous étions à 130 mètres de terre et le spectacle devenait curieux. La nuit commençait à estomper toutes choses. Je levai la tête pour voir le ciel, mais je restai bouche bée, notre bal-