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Perrin vint me trouver, un jour que j’étais très malade. Il me fit de la morale : « Vous vous tuez, ma chère enfant, pourquoi faire de la sculpture ? de la peinture ?… Est-ce pour prouver que vous pouvez en faire ?… — Mais non ! mais non ! m’écriai-je ; mais c’est pour me créer la nécessité de rester ici. — Je ne comprends pas… » fit Perrin très attentionné.

« Voilà : j’ai une envie folle de voyager, de voir autre chose, de respirer un autre air, de voir des ciels moins bas que le nôtre, des arbres plus grands, autre chose enfin ! Et je me crée des tâches pour me retenir à la chaîne ; sans quoi, je sens que mon désir de savoir et de voir l’emportera, et je ferai des bêtises ! »

Cette conversation devait tourner contre moi quelques années après, dans le procès que me fit la Comédie.


L’Exposition de 1878 acheva d’exaspérer Perrin et quelques artistes du Théâtre-Français contre moi. On me reprochait tout : ma peinture, ma sculpture, ma santé. Et enfin j’eus avec Perrin une terrible scène, qui fut la dernière, car à partir de ce moment-là nous ne nous parlâmes plus. A peine un salut froid de part et d’autre.

Cette crise éclata à propos de ma promenade en ballon. J’adorais et j’adore encore les ballons. J’allais chaque jour dans le ballon captif de M. Giffard. Cette assiduité avait frappé le savant et, un jour, il se fit présenter par un ami commun. « Ah ! Monsieur Giffard, que je voudrais monter en ballon libre ! — Eh bien, Mademoiselle, vous y monterez, me dit l’aimable homme. — Quand ? — Le jour qu’il vous plaira. »

J’aurais voulu tout de suite, mais il me fit remarquer qu’il lui fallait équiper un ballon, et qu’il prenait là