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pendant que le public attendri et enchanté par vous applaudissait, j’ai pleuré. Cette larme que vous avez fait couler est à vous et je me mets à vos pieds.

Victor Hugo.

Il y était joint un petit carton contenant un bracelet-chaînon, auquel pendait une goutte en diamants. Ce bracelet, je l’ai perdu chez le plus riche des nababs : Alfred Sassoon. Il a voulu le remplacer, mais je l’ai refusé. Il ne pouvait me rendre la larme de Victor Hugo.


Mon succès à la Comédie était affirmé, et le public me traitait en enfant chéri. Mes camarades en conçurent quelque jalousie. Ferrin me chercha noise à tout propos. Il avait de l’amitié pour moi, mais il ne pouvait admettre qu’on n’eût pas besoin de lui ; et, comme il refusait régulièrement ce que je lui demandais, je n’avais plus recours à lui. J’envoyais un mot au Ministère et j’obtenais gain de cause.


Toujours assoiffée de nouveau, je voulus faire de la peinture. Je savais quelque peu dessiner et j’étais très coloriste. Je fis d’abord deux ou trois petits tableaux, puis j’entrepris le portrait de ma chère Guérard.

Alfred Stevens le trouva vigoureusement peint, et Georges Clairin m’encouragea à continuer la peinture. C’est alors que je me lançai courageusement, ou follement ; et j’entrepris un tableau de près de deux mètres : La Jeune fille et la Mort.

Alors, ce fut un tollé contre moi. « Pourquoi faire autre chose que mon théâtre, puisque c’était ma carrière ? Quel besoin avais-je de faire parler de moi quand même ? »