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dans les rides très accentuées, exprime bien la douleur, l’immense douleur, près de laquelle toutes les autres ne sont rien. Je reprocherai seulement à l’artiste d’avoir donné trop de relief au réseau de nerfs qui tranchent sur le cou décharné de l’aïeule. Il y a de l’inexpérience à procéder ainsi. Elle est contente d’avoir bien étudié l’anatomie, et elle n’est pas fâchée de le montrer. C’est, etc.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Certes, il avait raison, ce Monsieur. J’avais étudié mon anatomie avec fureur et d’une bien amusante façon : j’avais pris des leçons avec le docteur Parrot, si bon pour moi. Je me promenais sans cesse avec un mémento de planches anatomiques ; puis, rentrée chez moi, je me mettais devant la glace, et je me disais subitement : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » en posant mon doigt sur l’endroit indiqué. Je devais me répondre tout de suite, sans hésiter... Et quand j’hésitais, je me condamnais à apprendre par cœur la musculature de la tête ou du bras, et je ne m’endormais qu’après l’exécution de ce pensum volontaire.


Un mois après l’Exposition, il y avait lecture à la Comédie-Française pour la pièce de Parodi : Rome vaincue. Je refusai le rôle de la jeune vestale Opimia, qui m’était distribué, et réclamai énergiquement celui de la septuagénaire Posthumia, vieille Romaine aveugle, figure superbe et très noble.

Il y eut sans doute corrélation d’idées en mon esprit entre ma vieille Bretonne pleurant son fieu et l’auguste patricienne réclamant la grâce de sa petite-fille.

Perrin, d’abord interloqué, céda cependant à mon désir. Mais son goût pour l’ordre, son amour pour la symétrie, le rendirent anxieux à propos de Mounet-Sully,