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nerveuses vêtues de la guêtre ou du bas à côtes, le pied pris dans le soulier de cuir à boucles ; les longs cheveux collés aux tempes cachaient les oreilles maladroites et donnaient au visage une noblesse que ne laisse pas la coupe moderne. Les femmes, avec leurs jupes courtes laissant voir leurs chevilles menues sous le bas noir, avec leur petite tête sous les ailes de la cornette, ressemblaient à des mouettes.

Je ne parle pas, bien entendu, des habitants de Pont-l’Abbé ou du bourg de Batz, qui ont des aspects tout différents.

Je visitai presque toute la Bretagne et séjournai surtout dans le Finistère. La pointe du Raz m’avait conquise. Je restai douze jours à Audierne, chez le père Batifoullé, si gros, si gras, qu’il avait fait faire une entaille dans la table pour y loger son ventripotent abdomen.

Je partais chaque matin à dix heures. Mon maitre d’hôtel Claude préparait lui-même mon déjeuner qu’il empilait ensuite avec un soin extrême dans trois petits paniers ; puis, montant dans le véhicule — combien comique — du père Batifoullé, mon petit garçon conduisant, nous partions pour la baie des Trépassés.

Ah ! la belle et mystérieuse plage, toute hérissée de rochers, toute blonde et toute plaintive ! Le gardien du phare me guettait et venait au-devant de moi. Claude lui remettait nos victuailles, avec mille renseignements sur la façon de cuire les œufs, de réchauffer les lentilles, et de griller le pain. Il emportait tout, puis revenait avec deux vieux bâtons auxquels il avait ajouté des clous pour en faire des piques ; et nous recommencions la terrifiante ascension de la pointe du Raz, espèce de labyrinthe plein de surprises désagréables, de crevasses qu’il fallait sauter au-dessus de l’abîme béant