Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/380

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longs, si longs... un nez mince aux narines mobiles ; une bouche toute petite ; un menton volontaire dans un visage nacré surmonté d’un casque de rayons lunaires, car je n’ai jamais vu de cheveux d’un blond si pâle, si brillant, si soyeux. Mais cet admirable visage était sans charme ; le regard était dur, la bouche sans sourire. J’essayai de rendre de mon mieux ce beau visage de marbre, mais il eût fallu un grand artiste, et je n’étais qu’un humble amateur.

Quand j’exposai le buste de ma petite sœur, elle était morte depuis cinq mois, après six mois d’une agonie lente, pleine de sursauts vers la vie. Je l’avais prise chez moi, rue de Rome, n" 4, dans le petit entresol que j’habitais depuis le terrible incendie qui avait dévoré mes meubles, mes livres, mes tableaux, enfin tout mon petit avoir. Cet appartement de la rue de Rome était petit. Ma chambre était minuscule. Le grand lit de bambou prenait toute la place. Devant la fenêtre était mon cercueil, dans lequel je m’installais souvent pour apprendre mes rôles. Aussi, quand je pris ma sœur chez moi, trouvai-je tout naturel de dormir chaque nuit dans ce petit lit de satin blanc qui devait être ma dernière couchette, et d’installer ma sœur sous les amas de dentelles, dans mon grand lit de bambou.

Elle-même trouvait cela tout simple, puisque je ne voulais pas la quitter la nuit et qu’il était impossible d’installer un autre lit dans cette petite chambre. Puis, elle avait l’habitude de mon cercueil.

Un jour, ma manucure, entrant dans ma chambre pour me faire les mains, fat priée par ma sœur d’entrer doucement parce que je dormais encore. Cette femme tourna la tête, me croyant endormie dans un fauteuil ; mais, m’apercevant dans un cercueil, elle s’enfuit en