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farce à Perrin. Mais grande fut ma surprise quand, le rideau tombé sur la fin de la pièce, je me relevai prestement pour le rappel, et saluai le public sans langueur, sans affaiblissement, prête à recommencer la pièce.

Et je marquai cette représentation d’un petit caillou blanc, car de ce jour je compris que mes forces vitales étaient au service de mes forces intellectuelles. J’avais voulu suivre l’impulsion de mon cerveau dont les conceptions me semblaient trop fortes pour que mes forces physiques les puissent réaliser. Et je me trouvais, ayant tout donné, même au delà, en parfait équilibre !

Alors j ’entrevis la possibilité de l’avenir rêvé.

J’avais pensé — jusqu’à cette représentation de Zaïre — et j’avais entendu dire, et j’avais lu dans les journaux, que ma voix était jolie, mais frêle ; que mon geste était gracieux, mais vague ; que ma démarche souple manquait d’autorité ; que mon regard perdu dans le ciel ne domptait pas le fauve (le public). Je pensai alors à tout cela.

Je venais d’avoir la preuve que je pouvais compter sur mes forces physiques ; car j’avais commencé la représentation de Zaïre dans un tel état de faiblesse qu’il était facile de prédire que je ne terminerai pas le premier acte sans un évanouissement. D’autre part, quoique le rôle soit doux, il exige deux ou trois cris qui pouvaient provoquer les vomissements de sang si fréquents chez moi à cette époque.

J’eus donc la certitude, ce soir-là, que je pouvais compter sur la solidité de mes cordes vocales, car j’avais poussé mes cris avec une rage et une douleur réelles, espérant me casser quelque chose, dans mon inepte désir de jouer un tour à Perrin.

Ainsi, cette petite comédie manigancée par moi