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J’eus, bien entendu, d’horribles maux de cœur. Et je criais, dans les tortures de mon pauvre estomac, je criais à maman affolée : « C’est toi qui me fais mourir ! » Et ma pauvre maman sanglotait… Elle n’a jamais su la vérité ; mais elle ne m’a jamais plus forcée à avaler quoi que ce soit.

Eh bien, après tant d’années passées, je me retrouvais avec les mêmes sentiments rancuniers et enfantins : « Ça m’est égal, me disais-je, je tomberai sans connaissance sûrement et je vomirai le sang ; et peut-être j’en mourrai ! Et ce sera bien fait pour Perrin ! Il sera furieux ! « Oui, je pensais cela. Je suis aussi bête que cela, par moments. Pourquoi ? Je ne puis le définir, mais je le constate.


Je jouai donc, le 6 août, par une soirée caniculaire, le rôle de Zaïre. La salle, comble, était en buée. Je n’entrevoyais les spectateurs qu’à travers une vapeur. La pièce, mal montée comme décors, mais bien costumée et surtout très bien jouée par Mounet-Sully (Orosmane), Laroche (Nérestan) et moi (Zaïre), obtint un immense succès.

Voulant tomber évanouie, voulant cracher le sang, voulant mourir pour faire enrager Perrin, je m’étais donnée tout entière : j’avais sangloté, j’avais aimé, j’avais souffert, et j’avais été frappée par le poignard d’Orosmane en poussant le cri vrai de la vraie douleur ; car j’avais senti le fer pénétrer dans mon sein, puis, tombant, haletante, mourante, sur le divan oriental, j’avais pensé mourir sérieusement ; et, pendant tout le temps de la fin de l’acte, j’osais à peine remuer un bras, convaincue que j’étais de ma languissante agonie, et un peu effrayée, je l’avoue, de voir réaliser ma méchante