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suis pâle, je suis convulsée, je veux ma lune ! — C’est impossible ! rugit Perrin. Il faut que le : « Tu m’aimes donc ? » de Mlle Croizette et son baiser soient enveloppés de lune. Elle joue le Sphinx, c’est le personnage principal, il faut lui laisser les principaux effets ! — Eh bien. Monsieur, donnez une lune brillante à Croizette et une petite lune à moi ; ça m’est égal, mais je veux ma lune ! »

Tous les artistes, tous les employés passaient la tête par toutes les issues de la salle et de la scène. Les Croizettistes et les Bernhardtistes commentaient le débat.

Octave Feuillet, interpellé, se leva à son tour : « Je conviens que Mlle Croizette est fort belle sous son effet de lune ! et Mlle Sarah Bernhard idéale dans son rayon lunaire ! Je désire donc la lune pour toutes deux ! »

Perrin ne put se contenir de colère. Il y eut discussion entre l’auteur et l’administrateur, entre les artistes, entre le concierge et les journalistes qui questionnaient. La répétition fut interrompue. Je déclarai que je ne jouerais que si j’avais ma lune.

Je ne reçus pas de bulletin de répétition pendant deux jours ; et j’appris, par Croizette, qu’on faisait répéter en cachette mon rôle de Berthe à une jeune femme que nous avions surnommée « le Crocodile », parce qu’elle suivait toutes les répétitions, ainsi que cet animal suit les bateaux, espérant toujours happer un rôle jeté par-dessus bord.

Octave Feuillet refusa ce troc et vint me chercher avec Delaunay qui avait pacifié les choses : « C’est convenu. La lune vous éclairera toutes les deux », dit-il en me baisant les mains.