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à la Comédie que lorsque j’y étais appelée par mon service.

Mes amis s’inquiétèrent sérieusement ; et Perrin, mis au courant de ce qui se passait, poussé aussi par la presse et le Ministère, se décida à me donner une création dans Le Sphinx, d’Octave Feuillet. Le rôle principal était pour Croizette ; mais, à la lecture, je trouvai le rôle qui m’était destiné charmant, et je résolus qu’il serait aussi le rôle principal ; il y aurait deux rôles principaux, voilà tout.

Les répétitions marchaient assez bien au début de la pièce, mais mon rôle semblant prendre plus d’importance qu’on avait cru, les agacements se firent jour. Groizette elle-même devint nerveuse. Perrin s’irritait, et ce manège me calmait. Octave Feuillet, homme subtil, charmant, très bien élevé et légèrement ironique, s’amusait follement de ces escarmouches.

Cependant la guerre allait éclater. La première hostilité vint de Sophie Croizette : Je portais toujours, piquées à mon corsage, trois ou quatre roses, qui s’effeuillaient dans la chaleur de l’action. Un jour, Sophie Croizette s’étala de tout son long sur la scène et, comme elle était grande et forte, elle tomba sans pudeur et se releva sans grâce. Le rire étouffé de quelques subalternes la cingla au sang ; et, se tournant vers moi : « C’est ta faute ! tes roses s’effeuillent et font tomber tout le monde ! » Je me mis à rire : « Il manque trois pétales à mes roses, les voilà toutes les trois, près de ce fauteuil, côté cour, et tu es tombée du côté jardin ; donc ce n’est pas ma faute, mais celle de ta maladresse. »

La discussion continua un peu vive de part et d’autre. Deux clans se formèrent : les Croizettistes et les Bernhardtistes. La guerre était déclarée, non pas entre