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courte et ronde venait d’entrer. Elle s’approcha près de la grille. Son voile noir était baissé jusqu’à la bouche. Je ne pouvais rien voir de sa figure. Elle reconnut mon père avec lequel elle avait sans doute déjà conféré.

Elle fit tourner une porte dans la grille, et nous pénétrâmes tous dans la seconde pièce.

Me voyant pâle, les yeux pleins de larmes et de terreur, elle me prit doucement la main ; et, tournant le dos à mon père, elle releva son voile : et je vis la plus douce, la plus rieuse figure qu’il soit possible de voir.

De grands yeux bleus pleins d’enfance, le nez retroussé, la bouche rieuse et charnue, de belles dents fortes et claires.

Son air de bonté, de vaillance et de gaieté me jeta tout de suite dans les bras de mère Sainte-Sophie, la supérieure du couvent de Grand-Champs.

« Ah ! nous voilà amies ! » dit-elle à mon père en baissant son voile.

Quel instinct secret avertissait cette femme sans coquetterie, sans glace, sans souci de la beauté, que son visage était fait pour charmer, que son clair sourire ensoleillait le sombre couvent ?

« Eh bien, maintenant, nous allons faire la grande visite du couvent ! »

Et nous voilà partis : moi, tenant papa et mère Sainte-Sophie par la main ; deux autres religieuses nous accompagnant : la mère Préfète, une grande femme froide aux lèvres pincées ; et sœur Séraphine, flexible et blanche comme un brin de muguet.

On commença par visiter le bâtiment, la grande salle de travail dans laquelle toutes les élèves se réunissaient le jeudi pour la conférence faite presque toujours par mère Sainte-Sophie ; les élèves travaillaient toute la