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la direction. M. Perrin, homme supérieurement intelligent, et pour lequel j’ai conservé un souvenir très affectueux, était horriblement autoritaire. Moi aussi. Et c’était entre nous un perpétuel combat. Il voulait m’imposer sa volonté, et je ne voulais pas la subir. Il riait volontiers de mes boutades quand elles étaient contre les autres, mais il entrait en fureur quand elles étaient contre lui.

Et pour moi, mettre Perrin en fureur était une de mes joies. Je m’en accuse. Mais il était si bredouillant quand il voulait parler vite, lui qui pesait chaque mot en temps ordinaire ; son regard généralement hésitant d’un œil devenait tout à fait torve, et sa figura distinguée et pâle se tachait de plaques lie-de-vin. La fureur lui faisait ôter et remettre son chapeau quinze fois en quinze minutes et ses cheveux bien lissés se hérissaient sous cette folle galopade du gibus. Quoique j’eusse alors l’âge de pleine raison, je me plaisais à ces méchantes gamineries, que je regrette toujours après, et que je recommence sans cesse, ayant encore aujourd’hui, malgré les jours, les semaines, les mois, les années vécus, une joie infinie à faire des farces.


Néanmoins, la vie à la Comédie devenait un peu énervante pour moi. Je voulus jouer Camille dans On ne badine pas avec l’amour : le rôle était à Croizette. Je voulus jouer Célimène : le rôle était à Croizette. Perrin était très partial pour Croizette ; il l’admirait, et la jeune femme, qui était très ambitieuse, avait des égards, des prévenances et une docilité qui charmaient le vieil autoritaire.

Elle obtenait tout ce qu’elle voulait ; et, comme Sophie Croizette était franche et droite, elle me disait