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thie, Perrin fit la plus cocasse des distributions : Il me donna le rôle de Dalila, la méchante brune et féroce princesse, et donna à Sophie Croizette la blonde et idéale jeune fille mourante.

La pièce culbuta sous cette étrange distribution. Je forçai ma nature pour paraître l’altière et voluptueuse sirène ; je bourrai mon corsage d’ouate et les hanches de ma jupe avec du crin ; mais je gardai mon petit faciès maigre et douloureux.

Croizette fut obligée de comprimer les avantages de son buste, sous la pression de bandes qui l’oppressaient et l’étouffaient ; mais elle garda sa jolie figure pleine aux jolies fossettes.

Je fus obligée de grossir ma voix, elle d’éteindre la sienne. Enfin c’était absurde. La pièce obtint un demi-succès.

Je créai après cela : L’Absent, un joli acte en vers d’Eugène Manuel ; Chez l’Avocat, un acte en vers très amusant de Paul Ferrier, où Coquelin et moi nous nous disputions à ravir.

Puis, le 22 août, je jouai avec un succès immense le rôle d’Andromaque. Je n’oublierai jamais cette première représentation, dans laquelle Mounet-Sully obtint un triomphe délirant. Ah ! qu’il était beau, Mounet-Sully, dans ce rôle d’Oreste ! Son entrée, ses fureurs, sa folie, et la beauté plastique de ce merveilleux artiste, que c’était beau !

Après Andromaque, je jouai Aricie dans Phèdre ; et ce soir-là, dans ce rôle secondaire, j’obtins en réalité le succès de la soirée.


Je pris une telle place, en peu de temps, à la Comédie, que l’inquiétude s’empara de quelques artistes et gagna