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XXII


Je quittai l’Odéon avec un très profond chagrin. J’adorais et j’adore encore ce théâtre. Il a l’air, à lui tout seul, d’une petite ville de province. Ses arcades hospitalières, sous lesquelles se promènent vieux et pauvres savants venant prendre le frais à l’abri du soleil ; les grandes dalles qui l’entourent, dans l’écartement desquelles surgit une herbe jaune et microscopique ; ces hautes colonnes noircies par le temps, les mains et la crotte de la chaussée ; le bruit régulier qui l’entoure ; le départ des omnibus ressemblant au départ des anciennes diligences ; la confraternité des gens qui s’y rencontrent ; enfin, jusqu’à cette grille du Luxembourg : tout lui donne un aspect à part, dans Paris.

Puis on y respire comme une odeur d’école. Les murs gardent encore les juvéniles espoirs. On n’y parle pas toujours d’hier comme dans les autres théâtres. Les jeunes artistes qui viennent là parlent de demain.

Enfin je ne pense jamais à ces quelques années de ma vie sans une émotion enfantine, sans un rappel de rires, sans une palpitation de narines respirant des petits bouquets, communs et maladroitement attachés,