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en m’emparant du papier maculé, je vais voir si j’ai eu tort ou raison de signer. Si c’est un papillon, j’ai eu raison ; si c’est autre chose, n’importe quoi, j ’ai eu tort. » Et, pliant la feuille en deux à l’endroit de l’énorme tache, j’appuyai fortement.

Alors, Emile Perrin se mit à rire, renonçant à son mannequin. Et penché vers moi sur le papier, nous l’ouvrîmes tout doucement, comme on fait d’une main dans laquelle on a emprisonné une mouche. La feuille déployée laissa voir, au milieu de sa blancheur, un magnifique papillon noir aux ailes étendues.

« Eh bien ? fit Perrin tout à fait démannequinisé, nous avons bien fait de signer ! » Et nous causâmes alors comme des amis qui se retrouvent.

Cet homme était charmant et très séduisant, malgré sa laideur. Quand je le quittai,nous étions amis et ravis l’un de l’autre.


Je jouais Ruy Blas le soir à l’Odéon. Vers dix heures, Duquesnel vint dans ma loge : « Tu as été un peu dure pour ce pauvre Chilly. Et puis, vraiment, tu n’as pas été gentille : tu aurais dû revenir quand je t’appelais. Est-ce vrai, ce que nous a dit Paul Meurice, que tu t’es rendue de suite au Théâtre-Français ? — Tiens, lis, lui dis-je en lui remettant mon engagement avec la Comédie. »

Duquesnel prit l’engagement et, après en avoir pris connaissance : « Tu veux bien que je le montre à Chilly ?

— Montre-le-lui. » Il s’approcha de moi et me dit d’un air grave et chagrin « Tu n’aurais jamais dû faire cela sans me prévenir. C’est un manque de confiance que je ne méritais pas. » Il avait raison, mais la chose était faite.