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vait les grandes idées qui devaient amener les grands changements.

Un jour qu’il se trouvait avec Busnach chez moi, une discussion politique s’éleva, assez violente. Je craignis un instant que les choses ne tournassent mal, Busnach étant l’homme le plus spirituel et le plus grossier de France — il est vrai de dire que si le maréchal Canrobert était un homme poli et très bien élevé, il ne le cédait en rien en esprit à William Busnach.

Ce dernier, énervé par les répliques gouailleuses du maréchal, s’écria :

« Je vous mets au défi. Monsieur le maréchal, d’écrire les odieuses utopies que vous venez de soutenir ! — Oh ! Monsieur Busnach, répondit froidement Canrobert, nous ne nous servons pas du même acier pour écrire l’Histoire : vous vous servez d’une plume, et moi d’une épée ! »


Le déjeuner que j’avais si bien oublié était cependant un déjeuner arrangé depuis plusieurs jours. Nous trouvâmes à la maison : Paul de Rémusat, la charmante Mlle Hocquigny, et M. de Montbel, jeune attaché d’ambassade. J’expliquai mon retard tant bien que mal, et cette matinée se termina par le plus délicieux accord de pensées.

Jamais je ne ressentis, plus que ce jour, la joie infinie d’écouter.

Pendant un silence, Mlle Hocquigny, se penchant vers le maréchal, lui dit : « N’êtes-vous pas d’avis que notre jeune amie devrait entrer à la Comédie-Française ? — Ah ! non ! non ! Je suis si heureuse à l’Odéon ! J’ai débuté à la Comédie ; et, le peu de temps que j’y suis restée, j’ai été si malheureuse... — Vous serez forcée,