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le revolver placé dans sa ceinture, mais l’effort était trop grand, la main retomba inerte.

De son côté, O’Connor avait armé son revolver. Je me plaçai devant l’homme, en le suppliant de le laisser en repos ; mais j’eus peine à reconnaître mon ami. Ce joli homme blond, correct, un peu snob mais charmant, me semblait être devenu une brute.

Arc-bouté vers le malheureux, la mâchoire inférieure avançant, il broyait sous ses dents des phrases inarticulées. Sa main crispée froissait sa colère, tel on fait d’une lettre anonyme, pour la jeter ensuite avec dégoût. « O’Connor, laissez cet homme, je vous en prie ? » Il était aussi galant homme que bon soldat. Il se détendit, reprit conscience de la situation. « Soit ! dit-il, en m’aidant à remonter à cheval. Quand je vous aurai mise à votre hôtel, je reviendrai avec des hommes pour faire ramasser ce drôle. »

Nous étions de retour une demi-heure après, n’ayant pas échangé un mot durant le trajet.

Je conservai une grande amitié pour O’Connor, mais je ne pouvais jamais le voir sans penser à cette triste scène. Et soudain, quand il me parlait, ce masque de brute dans lequel il m’apparut une seconde se collait sur son visage rieur.

Et quand, dernièrement, au mois de mars 1905, le général O’Connor, qui commandait en Algérie, vint me voir un soir dans ma loge, il me raconta ses démêlés avec de grands chefs arabes. « Je crois, s’écria-t-il en riant, qu’il va falloir en découdre ! » Et le masque du capitaine se colla sur le visage du général.

Je ne l’ai plus revu. Il est mort six mois après.


On put enfin rentrer dans Paris. L’abominable et