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toute jeune fille qui voulait se consacrer à l’art dramatique. Je lui promis de m’en occuper.

Le surlendemain, la malheureuse enfant vint m’annoncer la mort héroïque de Flourens, qui, ne voulant pas se rendre, ouvrit tout grands ses bras et cria aux soldats hésitants : « Tirez donc ! Moi, je ne vous épargnerais pas ! » Et il tomba sous les balles.

Un homme moins intéressant, et que je regardais comme un fou dangereux, était un nommé Raoul Rigault qui fut un instant préfet de police.

Il était très jeune, très audacieux, d’une ambition folle et décidé à tout pour arriver. Et le mal lui semblait plus facile à commettre que le bien. Cet homme était un réel danger.

Il faisait partie de cette bande d’étudiants qui m’envoyaient chaque jour des vers et que je retrouvais partout, enthousiastes et fous. On les avait surnommés, dans Paris, les « Saradoteurs ».

Un jour, il m’apporta une petite pièce en un acte. Cette pièce était si bête, et les vers si plats, que je la lui renvoyai avec un mot qu’il trouva sans doute désobligeant, car il m’en garda rancœur.

Et voici comment il essaya de se venger. Un jour, il se fit annoncer chez moi. Mme Guérard était là au moment où on l’introduisit. « Vous savez, me dit-il, que je suis aujourd’hui tout-puissant. — Par le temps qui court, cela n’a rien d’étonnant, répliquai-je. — Je viens vous trouver pour faire la paix ou la guerre. »

Cette façon de me parler ne me convenait pas. Je me levai d’un bond. « Comme je prévois que vos conditions de paix ne me conviendront pas, cher Monsieur, je ne vous laisse pas le temps de me déclarer la guerre : vous êtes de ceux qu’on préfère, quelque méchants qu’ils