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femmes. Les privations du siège avaient déprimé les enfants. La honte de la défaite avait découragé les hommes. Eh bien, ces appels à la révolte, ces cris anarchistes, ces hurlements de foules criant : « A bas les trônes ! A bas les Républiques ! A bas les riches ! A bas les calotins ! A bas les Juifs ! A bas l’armée ! A bas les patrons ! A bas les travailleurs ! A bas tout ! » Ces cris réveillèrent les engourdis.

Les Allemands qui fomentaient toutes ces émeutes, nous rendirent sans le vouloir un réel service. Ceux qui s’abandonnaient à la résignation furent secoués dans leur torpeur.

D’autres qui demandaient « la revanche » trouvèrent un aliment à leurs forces inactives. Personne n’était d’accord. Il y avait dix, vingt partis différents s’entredévorant, se menaçant. C’était terrible ! Mais c’était le réveil. C’était la vie après la mort. J’avais pour amis une dizaine de chefs aux différentes opinions, et tous m’intéressaient : les plus fous et les plus sages.

Je voyais souvent Gambetta chez Girardin, et c’était une joie pour moi d’écouter cet homme admirable. Ce qu’il disait était si sage, si pondéré et si entraînant. Cet homme au ventre épais, aux bras courts, à la tête trop grosse, prenait quand il parlait une auréole de beauté.

Du reste, Gambetta n’était jamais commun, jamais ordinaire. Il prisait, et son geste de la main pour chasser les grains épars était plein de grâces. Il fumait de gros cigares et savait fumer sans incommoder personne.

Quand, fatigué de la politique, il parlait de littérature,