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mangé, Mademoiselle ? — Oui, ma tante. — Avez-vous encore faim ? — Non, ma tante. — Écrivez trois fois le Pater et le Credo, petite païenne. » (Je n’étais pas encore baptisée.)

Un quart d’heure après, mon oncle montait : « Tu as bien dîné ? — Oui, mon oncle. — Tu as mangé ta viande ? — Non, je l’ai jetée par la fenêtre. Je ne l’aime pas ! — Tu as menti à ta tante ! — Non, elle m’a demandé si j’avais mangé : j’ai dit oui ; mais j’ai pas dit que j’avais mangé ma viande. — Quelle pénitence as-tu ? — J’ai à écrire, avant de me coucher, trois Pater et trois Credo. — Tu les sais bien par cœur ? — Non, mon oncle, pas très bien ; je me trompe tout le temps. »

Et cet homme adorable me dictait mon Pater et mon Credo que je copiais avec dévotion, car il dictait avec tendresse.

Il était pieux, très pieux, mon oncle Faure. Après la mort de ma tante, il s’est fait chartreux. Et, dans ce moment, je sais que, vieux et malade, courbé par la douleur, il creuse sa tombe, défaillant sous le poids de sa bêche, implorant Dieu de le reprendre et pensant souvent à moi, à « sa chère petite bohémienne ».

Ah ! le cher et doux être : je lui dois ce que j’ai de meilleur. Je l’aime avec respect et dévotion. Que de fois, dans les phases difficiles de ma vie, j’ai évoqué son souvenir et consulté sa pensée ; car je ne le voyais plus, ma tante s’étant brouillée volontairement avec maman et moi. Mais il m’a toujours aimée ; et il m’a parfois fait parvenir des conseils pleins d’indulgence, de droiture et de bon sens.

Dernièrement, je suis allée dans le pays où se sont réfugiés les Chartreux. Un ami est allé voir le saint