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Elle venait chaque jour à la nuit tombante, pour éviter les curieux. Et ses recherches avaient été infructueuses jusqu’à présent. Mais on avait espoir cette fois, car un des sous-officiers, qui sortait de l’hôpital, les conduisait à l’endroit où il avait vu tomber, frappé mortellement, le mari de la pauvre créature ; là où il était tombé lui-même et avait été ramassé par les ambulances.

Je remerciai ces gens, qui m’indiquèrent la triste route qu’il fallait suivre ; la meilleure, à travers ce cimetière encore chaud sous la glace.

Maintenant, nous distinguions, partout, des groupes qui fouillaient. C’était horrible à crier.

Tout d’un coup, l’enfant qui conduisait la voiture me tira par la manche de mon manteau. « Ah ! Madame ! Regardez ce gueux-là qui vole ! « Je regardai, et vis un homme étendu de tout son long, un grand sac tout près de lui. Il avait une lanterne sourde qu’il dirigeait sur la terre. Puis, il se redressait, regardait tout autour de lui, sa silhouette se dessinant sur l’horizon, et reprenait son travail.

Quand il nous aperçut, il éteignit le feu de sa lanterne et se tapit tout contre terre. Nous marchions en silence tout droit vers lui. J’avais pris le poulain par la bride, de l’autre côté du petit, qui, comprenant sans doute ma pensée, se laissa diriger. Et je marchai vers l’homme, feignant de l’ignorer.

Le poulain reculait, mais nous tirions et le forcions à avancer. Nous étions si près, que le frisson me prit à l’idée que ce misérable se laisserait peut-être fouler par la légère voiture, plutôt que de révéler sa présence.

Mais je m’étais heureusement trompée. Une voix étouffée murmura : « Gare ! là ! Je suis un blessé ! vous