Page:Bernhardt - Mémoires, ma double vie, 1907.djvu/300

Cette page a été validée par deux contributeurs.

homme, et très amusée par ses douleurs d’oreille, j’ouvris à nouveau la fenêtre. Il se leva de nouveau furibond, me montra son oreille et sa joue gonflée, et je compris le mot « périostite » dans l’explication qu’il me donna tout en refermant la fenêtre et en me menaçant. Je lui fis alors comprendre que j’avais la poitrine faible et que la fumée me faisait tousser, ce que lui expliqua le baron se faisant mon interprète ; mais il fut aisé de voir que, de cela, le major s’en fichait autant que d’une nèfle, et il reprit sa posture favorite et sa pipe.

Je le laissai cinq minutes, pendant lesquelles il put croire qu’il était triomphant, puis, d’un coup de coude brusque, je cassai la vitre. Alors la stupéfaction se peignit sur le visage du major, qui devint blanc. Il se leva tout droit, mais les deux jeunes gens s’étaient dressés en même temps, pendant que le baron s’esclaffait bruyamment. Le chirurgien fit un pas de notre côté, mais il rencontra un rempart : un autre officier s’était joint aux deux jeunes gens, et celui-là était un rude et solide gaillard taillé en hercule. Je ne sais ce qu’il dit à l’officier major, mais c’était net et cassant. Celui-ci, ne sachant comment dépenser sa colère, se tourna vers le baron, qui riait toujours, et l’injuria si violemment que ce dernier, calmé subitement, lui répondit de façon à me faire comprendre que les deux hommes se provoquaient. Peu m’importait, du reste. Ils pouvaient s’entre-tuer, ces deux hommes aussi mal élevés l’un que l’autre.

Le wagon devint silencieux et glacial, car le vent soufflait avec rage par le carreau cassé. Le soleil s’était couché. Le ciel devenait brumeux. Il pouvait être cinq heures et demie. Nous approchions de Tergnier. Le major avait changé de coin avec son compa-