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moi pour vous reposer ? Je suis en inspection par ici, et j’habite pour quelques jours cette auberge. Voulez-vous prendre une tasse de thé, ce qui vous réchauffera ? »

Je lui dis que j’avais un compagnon qui attendait sur la route, et une amie qui m’attendait dans le wagon. « Qu’à cela ne tienne, allons les chercher ! » dit-il.

Et quelques instants après, nous trouvions ce pauvre Villaret assis sur une borne kilométrique. Il avait la tête sur ses genoux et dormait. Je le priai d’aller chercher Mlle Chesneau. « Et, ajouta l’officier, si vos autres compagnons veulent venir prendre une tasse de thé, ils seront les bienvenus. »

Je retournai avec lui et rentrai, par la même petite porte d’où je l’avais vu sortir, dans une assez grande chambre de plain-pied sur la prairie. Des nattes par terre, un lit très bas, une énorme table sur laquelle se trouvaient deux grandes cartes de la France (il y en avait une, grêlée d’épingles et de petits drapeaux !), un portrait de l’empereur Guillaume cartonné et tenu par quatre épingles : tout cela appartenait à l’officier. Et sur la cheminée, sous un énorme globe, une couronne de mariée, une médaille militaire et une natte de cheveux blancs ; de chaque côté du globe, une potiche en porcelaine avec une branche de buis dedans : tout ceci, avec la table et le lit, appartenait à l’aubergiste, qui avait cédé sa chambre à l’officier. Cinq chaises de paille autour de la table, un fauteuil en velours et, contre le mur, un banc de bois couvert de livres. Le sabre et le ceinturon posés sur la table, et deux pistolets d’arçon.

Je philosophais, à part moi, sur tous ces objets hétéroclites, quand arrivèrent Mlle Chesneau, Villaret, le jeune Gerson, et cet insupportable Théodore Joussian.